Critique - Le tableau, J-F Laguionie
- Marie-Lou Monnot
- 13 nov. 2019
- 4 min de lecture
Le film d’animation est un genre à part entière du cinéma, en pleine expansion, et qui n’a certainement pas fini de faire parler de lui. Si les techniques utilisées sont multiples, 2D, 3D, pâte à modeler, les plus grands studios se comptent sur les doigts d’une main. Disney, le maître ; puis Pixar aux États-Unis ; les studios Artman en Angleterre ; et le Studio Ghibli avec Miyasaki au Japon. Mais les Français ont eux aussi leurs studios, leurs créateurs. Certes plus petits et moins connus, mais tout aussi talentueux. C’est notamment le cas avec Jean-François Laguionie, qui crée en 2011 Le Tableau. Impressions, deux ans après sa découverte, à froid, mais qui réchauffe toujours autant nos cœurs.

La force d’un réalisateur
Le Tableau est la dernière réalisation de Jean-François Laguionie. Son nom vous semble peut-être inconnu, mais ses réalisations vous sont sans doute familières. C’est en effet lui qui a réalisé le très impressionnant Château des singes en 1999, et le très beau Princes et Princesses l’année d’avant. Ce dernier est tout en ombres chinoises. C’est bien un des nombreux atouts de ce réalisateur : ses techniques sont multiples et servent toujours parfaitement son propos. Si la majorité de ses films a recours au dessin traditionnel, on note avec Le Tableau l’apparition d’images en 3D, ainsi que des images en prise de vue réelle. Et le passage de l’un à l’autre se fait toujours dans une grande subtilité, comme si un nouveau monde s’ouvrait à nous, sans frontières. L’autre atout de Jean-François Laguionie est son humanité. Quels que soient ses personnages, qu’il s’agisse de singes ou de simples ombres sans visages, l’attachement à eux est immédiat. Par ailleurs, ses films sont toujours porteurs d’un message fort. Les thèmes du rejet, de l’inconnu, de l’étranger, de la différence, sont au centre de son travail. Dans ses histoires ont lieu des rencontres qui n’auraient pas dû se produire, elles témoignent d’un changement, du passage d’une étape à une autre de la vie. Jamais manichéen, le ton est toujours juste, sensible, que ce soit dans la cruauté ou la tendresse, l’amour ou la haine. Si le dessin animé se destine à un jeune public, ce n’est ici qu’en apparence. Car ce film parvient à instaurer un double niveau de lecture, permettant de l’apprécier tout autant, voire davantage, avec un regard adulte.
Un conte initiatique
Tout commence comme dans un conte. Un grand château, entouré d’une somptueuse forêt, remplie de magnifiques fleurs. Ici vivent les Toupins, les maîtres du tableau. Les maîtres, car ceux-ci ont une chance inouïe : ils sont entièrement peints. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. À leurs côtés se cachent les Pafinis, à qui il manque quelques couleurs. Avec eux, les Reufs, simples esquisses. Mais pourquoi alors le peintre les a-t-il laissés dans cet état ? Face à cette situation délicate, une seule solution possible : attendre, et s’il ne vient pas, partir à la recherche du Créateur, le peintre. Comme le personnage de l’île de Black Mor, les personnages du tableau vont à leur tour entamer un voyage, à la recherche de l’homme qui les a laissés comme cela. Mais ce qu’ils vont trouver à l’extrémité du tableau pourrait bien les surprendre. Car oui, une échappatoire est possible, un monde entier de tableaux s’offre à eux ! Alors commence le voyage initiatique à la recherche d’un avenir, à la recherche de soi-même. Les rencontres se multiplient, les erreurs de parcours, la perte, aussi. Face au vide, comment aller de l’avant ? Sauter alors, et oser sortir, voir ce qui se cache au-delà et ne surtout pas perdre espoir. Entre l’enfance et l’âge adulte, il n’y a parfois qu’un pas à faire.
La magie d’un coup de pinceau
Le Tableau est donc un conte initiatique. La perte de soi, pour pouvoir mieux se retrouver, s’aimer. Dans les méandres de Venise se nouent des relations, se joue un avenir. Entre nos protagonistes, mais aussi et surtout entre eux et nous. Cette jeune fille, sa joie et son optimiste nous emportent instantanément. On suit leurs parcours aussi frénétiquement qu’eux : vite, un nouveau monde à voir ! La magie opère. Pas un instant on ne doute, ce monde existe, et enfin, il nous est permis de le voir. Enfin, on découvre la vie à l’intérieur des tableaux de nos musées, des ateliers de peintres. Un monde miniature s’offre à nous, un monde magique, réalisé en deux, trois coups de pinceau. À vrai dire, la beauté de ce film est là, l’esthétique des mondes qui nous sont proposés est multiple. Chaque tableau a son style, chaque monde, son univers. Le tout donne la sensation d’une peinture à l’huile pleine de vie et d’émotion, dont on ne ressort pas sans traces.
Un coup de cœur pour un film, qui cache en réalité une admiration profonde pour l’ensemble de la production de ce talentueux réalisateur : Le Tableau est une quête merveilleusement poétique, toujours tendre. Son aboutissement est sublime, mais on ne vous en dira pas plus, et on vous laisse le plaisir de le découvrir. Car comme disait Picasso, « un tableau ne vit que par celui qui le regarde. »
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