Festival Mondial des théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières
- Marie-Lou Monnot
- 4 oct. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 oct. 2021
Un souffle. De vie, d'amour, de rage, de mort parfois même. Si on ne compte pas toutes les formes possibles de marionnettes présentées au festival, cette étincelle, ce petit truc magique qui fait que, est toujours présente. Accepter de jouer le jeu de poser son regard sur des bouts de bois ou de tissus. Admirer l' être inanimé oui, mais sans oublier le vivant derrière, ce manipulateur qui doit trouver sa place, ente présence et effacement. Un art d 'équilibriste, aussi périlleux qu'un funambule traversant son fil.
Et du coté de la programmation Off, ces acrobates se lancent quasiment sans filet. Car il y'a ici cette nécessité d'accrocher rapidement un public, comme une urgence de créer, de vivre et de partager. De la proximité avec son audience nait une énergie créatrice, qui va droit au but et bien souvent droit au cœur. L'humanité, sa chaleur humaine, immédiate et soudaine se révèle ici, dans des salles d'une quarantaine de personnes tout au plus ou sur le bord d'un trottoir. Les formes sont aussi variées que les compagnies qui les présentent. Elle peut-être simple comme un carré de tissu auquel on a ajouté une boule pour la tête et une petite pour le nez. Pas de regard, du moins pas physique. Car c'est à travers les doigts des marionnettistes que des yeux imaginaires prennent forme, une vie qui émerge sous nos yeux, dans nos cœurs. Une simplicité, comme avec le spectacle « Rien » de la compagnie des Songes qui évoque dans ce mouchoir de poche l’innocence et la découverte d'un monde fait de bien étranges motivations.
De ce blanc immaculé, naît parfois alors des envies de voyages, comme avec la compagnie Dibuixat et son spectacle « Mes nouvelles chaussures » où ces dernières suffisent à faire personnages. Ou encore avec « l'Île aux trésors « de la Cie 9 Thermerniador où la encore des bottes et quelques planches de bois nous transportent en quelques secondes dans une taverne malfamée. Et après avoir voyagé, à deux, et s’être aimé et perdus, pourquoi pas, après un temps, remettre voile, comme avec le magnifique et poétique « Loïc » de la Cie UN Théâtre, sorte de « Là-haut » des studios Pixar en marionnette de bois et de laine.
Si les cœurs des spectateurs battent bien souvent à l'unisson devant ces spectacles à la tendresse enfantine, coté IN, c'est notre cerveau qui prend bien souvent la relève. Cette programmation vient nous chatouiller les méninges, en s’éloignant de l'affect et de l'instinctive tendresse que l'on peux ressentir avec la marionnette. Car ici, l'aspect primaire de jouer à donner vie à des objets qui en sont dépossédés est un peu plus lointain. L'objet marionnettique est un prétexte à raconter d'autres histoires, plus profondes peut-être. Des spectacles à « messages » , qui bien souvent d'ailleurs, en oublient le reste comme avec la Cie La Mue/tte et son spectacle « Battre encore » qui évoque les violences faites au femmes à travers l'exemple des sœurs « mariposas » et de leur combat contre le dictateur Rafael Trujilo. Malgré une bonne manipulation des marionnettes d’ailleurs très bien réalisées, la volonté de dénoncer devient malheureusement plus une déclaration de haine envers la gente masculine, et enchaîne les tableaux sans véritablement de sens. Des propos qui doivent être entendus, mais qui amené de la sorte sur scène, avec peu de subtilité ne font malheureusement pas écho en nous.
A l'inverse de l'excellent « Loco » de la Cie Belova-Iacobelli qui évoque avec beaucoup de douceur et de justesse la folie d'un homme, copiste belge se prenant pour le roi perdu d'Espagne. Sans jamais tomber dans le pathos, on écoute simplement cette homme-marionnette nous raconter ses délires de papiers et de lune qui veux s’asseoir sur la terre. La folie d'un homme aussi qui se prive de manger durant 40 jours, devenant « Un artiste de la faim », proposé par Sinking Ship Productions d’après Franz Kafka. Un clown noir, au cœur d' l’absurdité de l'humanité, d'un cynisme mordant. Des êtres un peu à part, comme dans « Le roi des nuages » de la cie Zusvex. Ici le monde d'Hélios, 8 ans, se dévoile à nous, avec de magnifiques marionnettes de mousse qui nous parlent avec justesse de l'autisme. La frontière entre marionnettistes et acteurs se mélange et se floute démontrant une profonde connaissance de la maladie et surtout, une vrai proposition artistique qui nous emporte au fin fond des nuages.
Les spectacles du IN et OFF touchent donc bien souvent à des parties différentes de nos êtres, réveillent des sentiments, font couler des larmes ou nous ouvrent les yeux sur une réalité de notre monde. Quand l'un se plonge dedans, cherchant dans ses entrailles pour le ramener à la surface et les mettre en évidence, l'autre va plutôt faire un pas de côté. Une aire de repos de ce monde parfois fou, un instant pour rire et oublier un peu le quotidien. Mais il n'est pas impossible que ces deux là se mêlent et se mélangent. Comme par exemple avec l'excellent « Natchav » de la Cie des Ombres Portées, ou l’insouciance, ou non, du cirque vient se confronter à la censure de la police. Un spectacle sur la liberté d'expression et cette universalité du besoin de raconter des histoires, qui fait forcément écho aujourd'hui.
Car oui, le point commun est là, raconter des histoires, imaginaires, réalistes, dures ou joyeuses. Ces êtres de bois, de mousse ou de papier nous emportent avec eux, d'une manière ou d'une autre, qu’ils grandissent dans un univers de bric et de broc ou bien au chaud dans un théâtre. Mais avant tout, il y'a le souffle. Un battement de cœur transmis, une colère à partager, une idée à dénoncer. Une respiration, commune et sans frontières.

Rien - L'atelier des songes

« Loco » de la Cie Belova-Iacobelli

« Loïc » de la Cie UN Théâtre

« Le roi des nuages » de la cie Zusvex

« Natchav » de la Cie des Ombres Portées
Marie-Lou Monnot
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